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Les chapelains et la Révolution. [1]



Sceau
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Le malheureux monarque montera bientôt sur l'échafaud, la monarchie des Bourbons subira une douloureuse éclipse, et la République sera proclamée dans Monléon au son du fifre et du tambour.

La province, en attendant, a disparu comme offrant trop de souvenirs et pouvant grouper les résistances contre un pouvoir qui ne veut plus de contre-poids. Elle a fait place au département, divisé en districts qui se subdivisent en cantons et en communes. A la tête du département et de chaque district siègent des conseils d'administration élus, et dans le sein de chacun de ces conseils une commission exécutive appelée directoire.

Garaison fait maintenant partie du département des Hautes-Pyrénées et du district de la Neste, avant de devenir un des joyaux du diocèce de Tarbes.

Dans ces conseils et dans ces directoires figureront quelques représentants des États des Quatre-Vallées, tels que Florentin, Pic, Féraud, Ozun, Gertoux, tandis que leur collègue Soulé de Lafont et la plupart des bienfaiteurs de la chapelle seront portés sur la liste des émigrés, que leurs biens seront mis en vente et qu'ils ne devront eux-mêmes leur salut qu'à leur fuite.

Nos chapelains seront dépouillés tout d'abord, obligés ensuite de prendre le chemin de l'exil.

La Révolution voulait la confiscation des propriétés ecclésiastiques : elle voulait pousser la bourgeoisie plus loin que n'étaient allés nos rois et la lier par des achats sacrilèges à la rupture définitive avec l'Église.

[...] Abordons le drame qui va se dérouler dans un petit coin du Magnoac. C'est un épisode de grand duel qui se livre en France et partout entre l'Église et la Révolution.

Une des premières préoccupations de la Constituante avait été le déficit de la dette nationale. L'Assemblée commença par demander aux contribuables aisés le quart de leur revenu, mais en laissant à chacun la faculté de fixer lui-même son revenu ; pour stimuler les bons vouloirs, on décora cet impôt du nom de don patriotique.

Il produisit la somme de dix millions.

Les chapelains avaient apporté leur part.

La générosité n'ayant pas comblé le déficit, la Révolution ne voulut pas laisser au clergé l'honneur de conjurer la crise par l'emprunt de quatre cents millions, hypothéqués sur les biens de l'Église, mais résolut de donner l'assaut à tous ces biens eux-mêmes.

Le 4 août 1789, la Constituante abolit la dîme. Un décret du 15 février 1790 supprima les vœux monastiques, en attendant le brutal décret du 18 août 1792 qui supprimait les Ordres religieux, au nom de la liberté, bien entendu !

Le 22 avril 1790, les biens du clergé furent mis à la disposition de la nation.

En faisant de tous les acheteurs de ces biens autant d'ennemis irréconciliables de l'Église, la Révolution atteignait le prêtre, et le faisait descendre du rang de propriétaire à la condition de salarié, qu'on dépouille plus facilement, plus vite, avec moins de bruit ; elle espérait même le réduire à la condition de fonctionnaire, qui le mettrait entièrement sous le joug du pouvoir civil et justifierait toutes les spoliations.

Elle y joignit, le 12 juillet 1790, la Constitution civile du clergé, qu'acceptèrent en trop grand nombre les prêtres de notre pays.

Pas un chapelain ne la jura.

Les chapelains défendirent leurs droit pied à pied.[...] Ils obtinrent un moment que la vente de leurs propriétés serait suspendue, sans pouvoir empêcher qu'elles ne fussent déjà partagées entre les divers districts où elles étaient situées : de Labarthe, de Mirande, de Lombez, de Muret, de St-Gaudens.

Le syndic Lardos paya, durant un certain temps encore, toutes les impositions comme si les chapelains n'avaient pas cessé d'être propriétaires, mais, pour bien leur signifier qu'ils n'étaient plus que des gérants [...]

Le directoire du département résolut, en juin 1791, d'imposer aux chapelains le serment à la Constitution civile du clergé :

" Considérant que, d'après les lettes patentes qui établissent la chapelle en Congrégation, il est évident que les chapelains sont fonctionnaires publics, puisqu'ils sont chargés par lesdites lettres patentes d'administrer les secours spirituels, et notamment ceux de prédication et d'instruction... le directoire déclare que les chapelains de Garaison sont fonctionnaires publics et tenus en cette qualité de prêter le serment prescrit par la loi du 27 décembre. "

Ainsi parce que Louis XIII et Louis XIV avaient garanti la tranquille possession des propriétés de la chapelle, afin que les chapelains pussent vaquer aux œuvres spirituelles que leur avaient assignées leur fondateur et les Archevêques d'Auch, c'étaient nos rois qui leur avaient donné le pouvoir, qu'ils n'avaient pas eux-mêmes, de prêcher, d'enseigner, de confesser, d'administrer les sacrements ? C'étaient nos rois et leurs lettres patentes, qui avaient donné aux chapelains la charge d'administrer les secours spirituels ?

Les menaces du directoire étaient plus sérieuses que sa jurisprudence :

"La municipalité de Monléon notifiera aux chapelains la présente déclaration. Huit jours après, les officiers municipaux se transporteront à Garaison, à l'effet de recevoir le serment des chapelains et de dresser procès-verbal de la prestation du dit serment ou du refus de le prêter.

Dans le cas de refus, il sera procédé à leur égard, comme il a été procédé dans les maisons religieuses. Les officiers municipaux feront inventaire de tout le mobilier de la maison et chapelle, et après avoir laissé à chaque chapelain le mobilier qui est à leur usage, ils mettront sous le scellé le reste du mobilier de la dite maison et chapelle, et ils enverront procès-verbal de tout au directoire du département.

Il sera accordé huit jours aux chapelains pour quitter la maison, et, ce délai expiré, les officiers municipaux de Monléon se transporteront à la dite maison, à l'effet de rendre libre, et ils établiront un concierge
. "

Les chapelains n'acceptèrent pas la qualification de fonctionnaire public ; leur logique victorieuse jeta le directoire du département dans un état d'exaspération, dont nous entendrons un écho plus loin.

Ce n'était que partie remise, avec une nouvelle plaie d'amour-propre blessé en sus.

Le 13 décembre suivant, l'Assemblée administrative du département rapportait le décret suspendant la vente des propriétés des chapelains et le remplaçait par un autre décret déclarant nationaux les biens de la chapelle :

" L'Assemblée administrative, considérant que l'Établissement de Garaison ne peut être considéré comme Établissement d'instruction ni de retraite... que les congrégations non exerçant l'instruction ni retraite... ne peuvent être d'aucune utilité à l'État, seul et vrai motif de l'ajournement... ; que la défense que les chapelains ont fournie, n'a pu faire changer en aucune manière l'état de la question... qu'une erreur de fait est toujours réparable... rétracte l'arrêt de l'Assemblée administrative du 22 novembre 1790 et déclare que les biens des chapelains sont du nombre de ceux dont la vente a été décrétée, charge le directoire de la prompte exécution du présent arrêté, de l'apposition des scellés et de faire rendre compte aux chapelains de la gestion administrative des biens dont ils ont joui.

Cette mission fut confiée à deux délégués de l'assemblée du district de la Neste : François Bourjac et Dutilh. Le mauvais temps, la neige, la nuit et la...peur les forcèrent à coucher à Monlong. Le lendemain, ils se remirent en route, mais en sommant la municipalité de Monléon de prendre toutes les mesures que leur prudence et leur sagesse leur suggèreraient pour la sureté des commissaires et la régularité de leurs opérations. "

La maire de Monléon, Cizos-Larrey, homme de loi (ils le sont tous !) et Clément Surville, procureur de la commune, se rendirent à Garaison, à la tête d'un piquet de vingt-cinq hommes de la garde nationale, " qu'ils distribuèrent sur les avenues de la chapelle, sur les issues et les entrées d'icelles, ainsi que des écuries, pour prévenir toutes déprédations qui nous avaient été annoncées par la rumeur publique. "

Les chapelains se réunirent, pour entendre la lecture de la délibération du département : " Ils nous ont déclaré, écrivent les commissaires, que, bien loin de s'opposer à l'exécution d'iccluy (mandat), ils se soumettent de grand cœur à l'esprit de la loi, s'ils se rapprochent de leur zèle patriotique (sis), ne pouvant cependant pas dissimuler que le bien qu'ils possèdent, est un bien qui leur est transmis par des voies légales, mais qu'ils en font le sacrifice, puisque la force majeure l'emporte. "

A travers ce style qui sue l'embarras et l'hypocrisie, en entend encore les chapelains affirmer leur respect pour toute loi juste et leur sincère patriotisme, mais protester contre cette inique spoliation d'un bien légitime et déclarer qu'ils ne cédaient qu'à la violence.

La municipalité de Monléon, piquée de n'avoir pas eu la confiance de l'administration, avait fait parvenir sa plainte au directoire du département. Elle fut écoutée. L'inventaire était à peine commencé depuis deux jours, lorsqu'un courrier extraordinaire du 23 décembre substitue Cizos-Larrey à Bourjac et comme secrétaire Surville à Soulé, toutefois sous la surveillance de Dutilh, commissaire du district.

L'inventaire de la chapelle et de la maison dura jusqu'au 31 décembre, avec repos en la solennité de Noël.

L'inventaire des archives n'eut lieu qu'en mai 1792. Bourjac et Surville furent désignés par le département, désireux de réconcilier le district et Monléon. Afin de mieux prévenir encore tout froissement, les deux commissaires s'adjoignirent Cizos-Larrey et Lacassin, " citoyens habitants de monléon, qui ont accepté avec zèle et civisme dont ils ont donné des preuves non équivoques, et cette loyauté (sic) qui caractérise les vrais citoyens français. "

Il fallut bientôt interrompre les opérations, parce que les commissaires ne savaient pas lire les vieilles écritures.

Ils clôturèrent, le 4 juin.

Ils avaient trouvé, sinon lu, 690 pièces et dossiers. Les propriétés de la chapelle, situées dans le district de la Neste, qui étaient les plus considérables, furent estimées par des experts 332.580 livres et 16 sols.

Que valaient autrefois la plupart de ces terres ?

Et, quand une direction intelligente leur a donné la valeur qu'elles ont, de nouveaux Barbares font invasion et disent : " Ce bien est à nous, c'est à vous de sortir. "

Les chapelains, menacés de rester sans ressources, avaient réclamé le revenu de trois petits bénéfices, dont deux d'entre eux jouissaient ; l'indemnité qui leur était due pour l'entretien durant plusieurs mois de trois donestiques, ayant continué à demeurer chez eux, quoique travaillant pour le compte de la nation ; le paiement des arrérages de l'année 1791, montant à la somme de six mille huit cent quarante-une livres, douze sols, trois deniers ; ils avaient enfin demandé que certains biens meubles, tels que livres, linge, chevaux à leur usage, argenterie autre que celle destinée au service divin, et. ne fussent pas considérés comme biens nationaux...

Le directoire du district de la Neste accueillit ces demandes avec une faveur et une largeur relatives. Le département, au contraire, ajournait toujours les deux dernières revendications. François Blaignan, indigné, lui fit signifier par huissier opposition à son arrêté, supprimant les chapelains et ordonnant la vente de leurs propriétés.

Le directoire du département répondit, en confirmant son décret de vente des biens de la chapelle comme nationaux et en ordonnant l'apposition des affiches, les publications et le retirement (sic) de l'argenterie.

Privés de leurs biens, les chapelains demandèrent un traitement auquel ils avaient droit.

Le district de la Neste émit un avis favorable et proposa pour chaque chapelain la somme de 1488 livres 8 sols 40 deniers, basée sur le revenu dont ils avaient été dépouillés et qui était passé au district et au département.

Le département fut digne de lui-même.

Les chapelains lui avaient été dénoncés comme ayant spolié la chapelle. Ordre fut donc transmis de leur demander compte, avant tout, de la croix pectorale, d'un diamant et de deux aubes de dentelle, souvenirs de Mgr de Montillet, ancien archevêque d'Auch ; d'une tabatière d'or, avec un cadruple (quadruple) espagnol dedans ; de cinq cents quintaux de foin ; d'un quintal de cire ; du linge ; de l'argent destiné à payer la bâtisse, qui est estimée cinquante mille livre et qu'ils n'ont pas entreprise sans avoir l'argent à l'avance... Ainsi pour ces honnêtes gens, c'étaient les maîtres qui volaient ?... L'Église a bien mis sur les autels s.Jean Cantius qui, dans un de ses pélerinages, fut arrêté et dépouillé par des voleurs. Interrogé s'il n'avait pas d'autre argent, le saint répondit qu'il n'avait plus rien, mais, ayant ensuite trouvé sur lui quelques autres pièces, il courut après eux et les leur présenta. Emus de tant de candeur, les brigands lui rendirent tout ce qu'ils lui avaient enlevé. Cette conduite n'est pas obligatoire et elle n'eut certainement éveillé chez les hommes du directoire aucun de ces remords généreux. Ceci n'est dit que pour maintenir les principes, car, nous verrons plus loin la fausseté de ces délations.

Examinant ensuite le chiffre que le district proposait pour le traitement des chapelains, le directoire du département le jugea tout-à-fait excessif. De la somme de 22.490 livres 5 sols et 4 deniers, qui avait servi de base, il déduisit plus de 12 mille livres pour toutes sortes de raisons ou de prétextes qu'il serait long d'énumérer ; il déduisit aussi le prix des objets disparus, des bestiaux et des foins vendus, la jouissance depuis 1789 des biens devenus nationaux, des chevaux et autres bestiaux nationaux (sic), plus la dépense du prêtre Dayrens, reçu comme habitué depuis la défense expresse faite par la loi.

Il concluait :

1) le traitement des douze chapelains demeure donc fixé à 828 livres 16 sols 3 deniers ;

2) On les paiera, à charge qu'ils prendront chacun sa part du don patriotique, acquitté avec l'argenterie ;

3) le prêtre Dayrens ne peut prétendre à aucun traitement.

Réductions et conclusion se valaient.

On dirait même que le département n'avait nullement entendu faire le moindre traitement aux chapelains, mais donner une leçon au district et lui indiquer le point de vue auquel il fallait se placer pour le faire, le moment venu.

Quelques jours après, le 28 avril 1792, un nouvel arrêté déclara " supprimée la ci-devant maison des ci-devant prêtres de Garaison " et décréta :

" 1) que le barreau des finances examinerait les comptes que lesdits prêtres ont remis de l'arrégie (sic) des biens de la maison, les années 1790 et 1791 ;

2) que le 9 mai prochain, les dits prêtres seront tenus de cesser leur séjour dans ladite maison :

3) qu'après leur sortie, il sera procédé à la vente des meubles ;

4) que, après la vente, on fixera le traitement des dits prêtres
. "

L'expulsion d'abord, le traitement ensuite !...

Dans ces conjonctures pleines d'anxiété, les chapelains n'oublièrent pas qu'ils avaient charge d'âmes. Avant de quitter ces lieux, sachant que nul pasteur légitime ne viendrait de sitôt les remplacer, ils préparèrent tous les enfants à la première communion et leur laissèrent Notre-Seigneur Jésus-Christ comme leur suprême adieu. Puis, le 9 mai venu, ils se réunirent une dernière fois dans la chapelle aimée, se recommandèent encore à leur bonne Mère, lui recommandèrent les fidèles qu'ils étaient forcés d'abandonner, la conjuguèrent de garder son propre sanctuaire de Garaison, de donnèrent le baiser du départ et s'éloignèrent, au milieu des larmes des assistants.

Le syndic Lardos se hâta de notifier au département qu'ils étaient sortis, qu'ils s'étaient séparés et qu'ils étaient obligés de recourir à leurs familles pour fournir à leur subsistance. Ils réclaient donc leurs traitements, et les leur fixer au plus tôt ne serait que justice.

Mais les torts qu'on pardonne le moins, sont les torts qu'on s'est donnés envers des innocents. Le département voulait bien parler de justice ; la pratiquer n'était pas son plus grand souci.

Il essaya de se concilier la faveurs d'une partie de ces populations. Les fidèles de Monléon avaient demandé que la statue miraculeuse et les autres statues ne fussent pas livrer aux flammes, et les avaient réclamées comme objets d'art ; toute considération religieuse eût fait écarter la requête par ces représentants de la liberté de conscience !... Le 20 mai 1792, le département accorda le transfert de ces statues à Monléon, dans un lieu que sa clôture doit rendre impénétrable, attendu que la chapelle de Garaison dépend de l'église paroissiale de Monléon, et est de trop. Et attendu que les habitants de Monléon et des pays circonvoisins se conduisent par les vrais principes en fait de religion, ne laissant redouter aucun des excès dont le fanatisme, abusant de l'ignorance et crédulité, amène le danger, il autorise le transfert de l'image et des reliques, en conformité du vœu des citoyens de cette ville. Il autorise même lesdits cotoyens à mettre dans cette translation les cérémonies religieuses que l'Évêque du département permettra.

Oui, un peu de joie religieuse était même permise, pourvu que l'Évêque assermenté en approuvât la qualité et dans la mesure où il l'approuverait... On est rarement aussi aimable et aussi large !... L'ukase était signé : Pie et Manant.

Tout étant ainsi préparé, le département délégua, le 15 juillet 1792, l'un de ses membres pour aller prendre sur les lieux des renseignements que la suite nous fera connaître. Le délégué n'était autre que Florentin Pie et Florentin Pie, des Quatre-Vallées, accepta. Le haut commaissaire se présenta, escorté de six gardes nationaux et d'un caporal. Il choisit pour secrétaire Cizos-Larrey, maire de Monléon, et tous les deux visitèrent la chapelle, la maison et les propriétés.

Avant même d'être entré dans la maison, Pie constata que " le portail avait été écorné, pour enlever deux ou trois pièces saillantes de marbre noir. "

Il pénétra, suivi de son secrétaire, dans cette chapelle où il se tenait autrefois si recueilli.

Il n'y avait plus d'autels !... " les communes de Monléon, Bazordan, Gaussan, Villemur et Caubous les avaient partagés entre elles pour les besoins ou l'ornementation de leurs églises, avec la permission de M. l'évêque du département... Plusieurs confessionnaux (sic), beaucoup des statues (sic), et les eaux-bénitiers (sic) avaient été enlevés par les mêmes, avec les mêmes permissions... La moitié de la grille de fer, qui fermait le cœur était totalement renversée, parce qu'il avait fallu faire sortir le maître-autel et que la porte était trop petite... Le dégât, si toutefois ça en est un, est le seul que nous avons remarqué à la chapelle qui, se trouvant supprimée, nous paraît être totalement dépouillée pour faire servir ses dépouilles à l'ornementation des églises où l'Être suprême est honoré par un culte que la nation salarie. "

L'inspection de la maison leur démontra que le concierge n'avait pas heureusement remplacé les chapelains ; les serrures avaient été enlevées aux portes de trente chambres et de douze armoires.

Les dégâts, commis dans le bois, n'étaient pas aussi considérables que l'avaient affirmé les dénonciateurs.

Le haut commissaire ne nous apprend pas ce qu'était devenue cette immense provision de pierres taillées, de tuiles, de planches, etc. accumulée par les chapelains pour continuer et terminer leurs constructions ? Tous ces matériaux de valeur avaient-ils été plus respectés que les serrures ?...

Une autre affaire leur tenait plus au cœur.

Ces farouches ennemis de l'Inquisition venaient se livrer à une petite inquisition contre les chapelains et solliciter des délations nouvelles. Ils firent parler un ancien bordier des chapelains et son fils. D'après ceux-ci, les chapelains n'avaient déclaré ni le nombre ni la valeur de leurs troupeaux ; ils en avaient même vendu un, à l'insu du département, et, circonstance curieuse, Surville en personne en aurait acheté un autre... Ne trouvant pas à Garaison d'autres échos contre les chapelains, sans que le département en eût été instruit. Détail plus piquant encore, le curé de Villemur, qui avait été quinze ans sous-sacristain de la chapelle, lui assura que, de son temps, il y avait quatorze calices " un notamment d'un poids et d'une beauté considérables, et un autre en vermeil. "

Le triomphe et la joie de Pie ne durèrent pas.

Le syndic Lardos, n'obtenant pas de réponse, passa la plume au chapelain Ducasse. Ducasse, lui aussi, réclama la prompte fixation d'un traitement d'un traitement de plus en plus indispensable à des hommes dispensés et sans ressources. Il fit appel à l'humanité dont ces hommes sensibles parlaient toujours, à la loi qui était formelle, aux promesses reçues. Répondant ensuite à l'inquisition Pie, il rectifia les récits qui avaient couru sur leurs marchés, certifia que les effets avaient été remis et les comptes rendus. Quant aux calices, il y en avait un à Esclassan, un chez les religieuses de Castelnau ; deux avaient été portés à la Monnaie de Lectoure ; les chapelains avaient disposé de deux autres, quelques années auparavant ; ils en avaient remis six : aucun n'avait donc été détourné. Il ajoutait : " Les soupçons en justice ni ne valent ni ne concluent jamais rien... Vous estimez la grande bâtisse cinquante mille livres ?... Il n'y a jamais eu de devis estimatif ; on a commencé, on a continué, selon qu'on avait des ressources. Le corps déjà bâti a coûté des sommes immenses d'argent... On n'a trouvé que soixante deniers dans le trésor ? La vérité est qu'ils n'y sont restés que parce qu'on ne les y savait pas... Vous voulez que la somme de deux mille livres du don patriotique, faite avec la vente de l'argenterie, soit regardée comme non avenue ? Soit ! Les chapelains consentent à la faire individuellement sur le traitement qui leur sera alloué...

Mais le départemant ne consentait pas à leur allouer même un traitement dérisoire. Pourtant il s'occupa d'eux encore, le 7 octobre 1792. Les chapelains avaient très justement protesté contre la qualification de fonctionnaires publics et contre les étonnantes raisons sur lesquelles le directoire l'appuyait. Nos Amphietyons des Hautes-Pyrénées n'aimaient pas à être contredits : " l'Assemblée du conseil du département, vu l'arrêté du 3 juin 1791 déclarant les ci-devant chepelains fonctionnaires publics, confirme ledit arrêté, déclare de plus fort, qu'ils sont fonctionnaires publics ; qu'ayant refusé le serment prescrit par la loi du 27 novembre 1790, ils doivent épro'ver pour leur traitement la réduction à laquelle sont sujets les fonctionnaires publics ecclésiastiques, qui, étant tenus au dit serment, ont refusé de le prêter. Le conseil arrête que la procureur général syn'ic transmettra incessamment un extrait du présent au directoire du district, pour en donner connaissance au receveur de l'arrondissement, soit afin qu'il s'y conforme, soit pour la réduction de la pension des prêtres à cause de leur refus de serment, soit pour le paiement de leur traitement, quand il y aura lieu, ne leur soit pas fait d'avance.

Pendant que ces proconsuls jacobins refusaient à ceux qu'ils avaient sacrilègement dépouillés le morceau de pain que, par devoir et par honneur, ils auraient dû leur offrir avant toute demande, que devenaient toutes ces richesses, ainsi nationalisées à la fois dans la France entière ?

La vente des immeubles se faisait dans les conditions les plus déplorables. Tout était mis en vente en même temps, et cette multiplicité et cette simultanéité de ventes amenaient une formidable dépréciation. Qu'on ajoute les agiotages de financiers dépourvus de scrupules, les abus d'autorité des puissants du jour, les connivences des acheteurs entre eux, des répugnances religieuses que parvenait seule à assoupir la certitude d'une bonne affaire ; qu'on se souvienne que ces biens étaient généralement payés en assignats, que les assignats achevaient de perdre toute valeur à mesure qu'achevaient de disparaître les biens d'Église qui leur avaient été assignés comme garantie... Et l'on comprendra facilement que ces ventes de biens estimés cinq milliards n'aient pas payé les deux milliards de dettes de la France, n'ai servi qu'à enrichir des personnages véreux et que la République ait liquidé par une banqueroute de trente milliards d'assignats !

Les efffets mobiliers enlevés à Garaison, étaient envoyés à Tarbes " sans inventaire, sans avis préalable, sans aucune précaution extérieure qui assure que ces malles et ces caisses n'ont pas été éventrées et expoliées (sic) avant d'arriver à destination. " Ainsi étaient arrivés à Tarbes deux candélabres en cuivre jaune, quelques cloches, des malles cordées et des coffres renfermant des ornements sacrés. Le directoire du département s'en prenait au directoire du district, le directoire du district rejetait la faute sur Bourjac qui, malgré ses collègues et la disposition de la loi, avait pris sur lui d'envoyer le tout à Tarbes par l'intermédiaire de la municipalité de Monléon ou de charger Surville et la municipalité de Monléon de l'envoi des ornements, cloches et autres objets, sans escorte, sans inventaire, sans précautions.

" Les vases sacrés, les lampes d'argent, les bijoux, les ex-voto précieux de tout genre..., furent portés au district de Labarthe-de-Neste. Tous les papiers furent enlevés et brûlés, la bibliothèque fut portée à Tarbes. "

Le gaspillage fut assez considérable, pour que le département se crût obligé à élever la voix : " Le directoire du département, instruit de l'irrégularité et des connivences qui interviennent dans les ventes qui se font des effets mobiliers et meubles nationaux qui sont dans la chapelle et maison de Garaison et ses dépendances, charge le procureur de la Neste de l'informer des faits et moyens tendant à procurer la vilité des ventes... et de quereller où et ainsi qu'il appartiendra les ventes où la vilité des prix indiquera qu'il est intervenu quelque inobservation de forme ou omission de mesures qui auraient empêché ces méventes. "

Mais le département avait beau faire la grosse voix, la conscience publique comprenait d'instinct que, s'appropriant lui-même les biens d'église, il ne pouvait faire justice bien rigoureuse de ceux qui en prenaient part.

Quelques jours après ces menaces, les belles propriétés de Barthe et de Betpouy étaient vendues trente-cinq mille cent livres, après une simple surenchère de cent livres.

Chacun achetait dans ces conditions.

La chapelle et la maison de Garaison ne furent achetées que plus tard. D'un côté, ce couvent en pleine solitude ne tentait aucunement l'industrie, et, de l'autre, Florentin Pie ne nous cache pas que les habitants de Garaison restaient attachés aux chapelains : " Les habitants de Garaison se trouvent trop affectés par le regret de la suppression desdits prêtres et trop bercés encore par ceux-ci dans l'espoir de leur retour, pour qu'ils voulussent s'expliquer franchement sur des faits intéressants ces prêtres. "

Il leur garde âpre rancune de n'avoir rencontré parmi eux pour la délation basse et fausse que le bordier et son fils !...

La tradition du pays a conservé le souvenir d'un sacrilège, mais ce fût un étranger qui le commit et que en subit la punition. Un habitants des environs, armé d'une barre de fer, en porta un coup à la statue en bois du Christ de la chapelle et lui coupa la main. C'était en 1793. L'homme à la barre de fer se maria : une enfant naquit de ce mariage, mais la petite naquit sans main ; en place de main, on voyait un cône et à l'extrémité de ce cône un ongle.

Veut-on savoir l'avenir qu'on préparait à Notre-Dame de Garaison ? " C'est un local très propre à former une maison de correction, commune aux départements de Haute-Garonne, Gers et Hautes-Pyrénées - Arêté en Directoire le 20 décembre 1792. "

En attendant, on en fit une fabrique de salpêtre, jusqu'au jour où un particulier l'acheta.

C'était mal remplacé un passé plein de gloire !

Cependant le séjour de la France devenait de plus en plus dangereux pour les chapelains.

L'Assemblée législative, dans sa séance du 10 août 1792, rendit exécutoire le décret du 25 mai précédent, que Louis XVI n'avait pas voulu sanctionner et d'après lequel les ecclésiastiques, ayant refusé de prêter le serment à la Constitution civile du clergé, devaient quitter le sol de la France ou être déportés, lorsque vingt citoyens électeurs d'un canton le demandaient.

Inspirer le civisme de la dénonciation à vingt citoyens électeurs d'un canton est chose facile à une administration quelconque et, par ailleurs, rentrait plus dans les goûts du directoire des Hautes-Pyrénées que d'allouer aux chapelains un traitement convenable.

Les chapelains partirent, sans traitement d'aucune sorte.

Dix d'entre eux passèrent en Espagne.

Joseph Belvèze, Nicolas Bruils, Jean-Antoine Doat, Joseph Tarrible, Jean-Louis Courtade, moururent sur cette terre hospitalière, et Jean-Louis Courtade eut le bonheur d'être assisté dans ses derniers moments par Mgr La Tour du Pin, archevêque d'Auch, exilé comme eux.

Bousigues, Lardos, Soulez et Dufaur, après avoir partagé en Espagne le pain de l'exil, revirent leur patrie. Ne pouvant plus se réunir dans leur bien-aimé sanctuaire de Garaison, devenu propriété particulière, les uns, brisés par l'âge, les privations et les souffrances, rentrèrent dans leurs paroisses ou dans leurs familles ; les autres, les plus valides, exercèrent encore le saint ministère dans les paroisses où l'obéissance les envoya. Tous moururent, environnés de respect et de l'auréole des confesseurs de la foi.

André-Germain Dayrens ne passa que peu de mois en Espagne. Il rentra dans son diocèse d'Auch, où il remplit les périlleuses fonctions de vicaire général jusqu'au rétablissement du culte catholique. Il mourut chanoine de la Métropole, laissant après lui la réputation d'un prêtre pieux, d'un prédicateur instruit et d'une excellent directeur.

Jean-Marie Ducasse et Jean-François Blaignan refusèrent de s'expatrier et voulurent, au péril de leur vie, l'un dans le Gers, l'autre dans le Magnoac et la Neste, continuer les secours de la Religion à leurs frères et compatriotes qui les réclamaient aux prêtres restés fidèles. On s'est longtemps souvenu avec édification des saintes industries de Ducasse? Les ressources, déployées par l'esprit inventif de Blaignan, sont demeurées légendaires. Tous les deux durent déjouer les poursuites continuelles, ordonnées par tous les directoires. Quand l'orage fut passé, Ducasse alla dans la retraite attendre le moment de la récompense. Blaignan, nommé curé-doyen de Castelnau, renouvela sa paroisse, s'adonna aux missions pour renouveler les paroisses des confrères qui l'appelaient et prodigua partout les trésors de son zèle apostolique. Il s'éteignit, plein de jours et de mérites, pleuré de ses paroissiens et de tous ceux qui l'avaient connu.

Ainsi disparurent les chapelains, les uns après les autres.

Ils tombèrent, mais comme des vaillants, comme des prêtres. Ils confessèrent la foi, et pas un ne faillit.

Les œuvres pour lesquelles on souffre, sont des œuvres qui ne meurent pas. Elles peuvent se transformer, selon les besoins du temps, mais elles restent.

Et les hommes qui ont souffert pour ces œuvres et pour l'Église, ne périssent pas tout entiers.

Ils auront des successeurs. [2]




[Précédent]




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Notes

[1] Sources : Gallica.bnf.fr - Bibliothèque Nationale de France
Note-Dame de Garaison depuis les apparitions jusqu'à la révolution française (1500-1792) -
P. Bordedebat - Imprimerie de la Grotte - 1901 - Lourdes.

[2] Dayrens, mort en 1839, a vu la restauration de Garaison.



[Plan du site passion-bigorrehp.org]



[Commune de Monléon-Magnoac]
[Chapelle Notre-Dame de Garaison]
[Généralités sur les Communes]
[Sommaire]




Chacun peut apporter son aide concernant la chapelle de Garaison
de la Bigorre devenue Hautes-Pyrénées
département 65.

© Marie-Pierre MANET









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