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L'apport des monographies communales
pour la connaissance des légendes
des Hautes-Pyrénées
à la fin du XIXe siècle
.[1]



Par X. Recroix.


Sceau
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Pour qui désire avoir une idée d'ensemble des légendes des Hautes-Pyrénées, véhiculées par la tradition orale à la fin du XIXe siècle, les monographies communales présentent un grand intérêt. Rédigées indépendamment les unes des autres par des enquêteurs qui ont opéré en même temps, elles reflètent un aspect non négligeable de la mentalité rurale du département.

Certes, nous ne possédons pas de monographies pour une centaine de localités actuelles. Mais les 387 qui subsistent aux Archives Départementales offrent un champs d'étude privilégié. Pour chaque canton subsiste en effet un échantillon allant de la moitié à la totalité des communes.

Parmi ces monographies, une centaine a pu être utilisées. Ce petit nombre s'explique. Chaque village n'est pas riche d'une ou deux légendes spécifiques. Souvent, aussi des instituteurs préfèrent se borner à l'histoire communale, tandis que d&appos;autres se contentent de mentionner la croyance aux "sorciers, revenants, loups-garous.", certains ajoutant encore les fées.

En 1887 pourtant, tout un fond documentaire existe déjà concernant les légendes des Hautes-Pyrénées : les relations d'auteurs connus du grand public, les articles parus dans le Bulletin de la Société Académique, le Bulletin de la Société Ramond, la Revue Souvenir de Bigorre.

Un grand nombre de monographies se réfère, explicitement ou non, à cette source d'information. Mais le souci de l'enquête sur le terrain prédomine. En sorte que les instituteurs se font, sans apprêt, l'écho des traditions, des légendes locales encore véhiculées par voie orale.

Ces produtions de l'imaginaire collectif pourraient être regroupées autour de deux axes :

I. - Les thèmes légendaires à caractère socio-culturel.

II. - Les thèmes légendaires à caractères religieux.

Le premier groupe réunissant faits-divers héroïsés, personnages entrés dans la légende, êtres mythiques, etc., tandis que le second évoquerait ce qui traite de Dieu, la Vierge Marie, les saints, le diable.

Afin de mieux souligner l'intérêt de l'enquête de 1887 pour l'étude des légendes des Hautes-Pyrénées, encore transmises oralement à la fin du siècle, deux qualités des monographes demandent à être soulignées : la prudence dans la présentation du thème, la fidélité à la tradition locale.

La prudence dans l'exposé du thème trouve un bon exemple d'illustration avec les monographies d'Arcizac-Adour et de Larreule.

En 1886, l'abbé Dulac publie dans la revue souvenir de Bigorre un long et savant article sur Saint-Misselin. A cette occasion, une enquête a été menée à Arcizac pour vérifier les dires de Deville et Davezac-Macaya concernant l'existence d'une statue équestre du personnage à l'intérieur de l'ancienne église d'Arcizac, détruite en 1850, au bénéfice d'un nouvel édifice. Le détail a son importance. Il tendrait à conforter la tradition locale qui fait naître Misselin à Arcizac. En 1887, l'on montre même avec complaisance la maison natale du héros. Or, les anciens de la commune ne se souviennent pas d'avoir entendu parler d'une statue équestre de Saint-Misselin. Tout juste y avait-il, en 1846, sous le porche de l'église "une peinture de différentes couleurs, reproduisant sur le mur le saint à cheval." D'où la conclusion de l'abbé Dulac : "... de la statue équestre... n'aurait jamais existé que dans la tête d'historiens à priori..."

La monographie d'Arcizac fait état de la bataille contre les Maures remportée par Misselin, de la maison natale du saint. Des phrases entières de l'article de l'abbé Dulac sont reproduites, mais sans mention de leur source. Par contre, Davezac-Macaya, Deville sont cités. Les objections formulées par l'abbé Dulac sur l'existence d'une statue équestre de marbre ou de bois sont passées sous silence.

Tout aussi prudente l'attitude de Sensever, l'instituteur de Larreule lorsqu'il aborde la légende de Saint Esselin, une "absurdité" selon l'auteur de la monographie.

Dans son Histoire religieuse de la Bigorre, Bascle de Lagrèze avait développé sur le monde épique "une légende consacrée par la vénération séculaire du peuple." La monographie se borne à reproduire la tradition orale : est-ce une légende ou une tradition historique que la mort de Saint-Esselin, survenue dans la commune de Larreule à une époque très reculée, sur l'emplacement d'une fontaine qui porte son nom ? Nous n'en savons rien. Dans tous les cas, voici ce que les vieillards racontent encore aujourd'hui à leurs petits enfants pendant les longues soirées d'hiver : "Il y avait une fois un pauvre pèlerin, nommé Saint-Esselin..."

Si l'on veut maintenant renforcer l'idée de la fidélité des monographies à la tradition locale, il est significatif de comparer la légende du serpent d'Isaby, selon Cordier et Bladé et la version résumée par l'instituteur d' Ayros-Arbouix. Ce dernier témoigne : "Une tradition locale nous apprend... On montre encore aujourd'hui l'endroit... où gisait cet animal."

Cet apport de première main demande à être bien mis en évidence puisque, en plusieurs cas, notre seule source d'information concernant les poductions de l'imaginaire rural et pastoral à la fin du XIXe siècle dans les Hautes-Pyrénées.

Témoin, ce récit, dans l'idiome local, d'une apparition mariale à Ris, avec, détail original, la Vierge qui imprime sur le front de la voyante une marque indélébile.

Même remarque à propos de la "légende" de Garaison, restituée par Lacassagne, l'instituteur de Monléon-Magnoac. L'on y trouve le détail du pain noir de la voyante changé en fleurs et non en pain blanc, selon la tradition entretenue par les chapelains du sanctuaire à la même époque.

La monographie d'Ansost, quant à elle, résume brièvement la légende d'Artus "telle qu'on la raconte" dans la localité. Cette version diffère de celle proposée pour Izaourt et pour Monfaucon. Mieux, la légende de Tantugou nous a été transmise dans le dialecte propre à Asté, une autre version dans celui parlé à Germ-Louron.

Et lorsque Deville propose dans le Bulletin de la Société Académique, année 1864, pages 42 et 43, une note concernant l'esprit follet, "et houlet", qui disperse le foin, fait galoper de nuit les juments, roue de coups quiconque l'observe, nous ne savons ou cette légende a plus particulièrement cours. Heureusement l'instituteur de Villelongue en fait mention et celui d'Ilhet rapporte avec complaisance la mésaventure d'une pauvre femme, chargée à la nuitée d'un sac de farine. Rendue chez elle, stupéfaction : l'esprit follet saute à bas de la vieille, s'enfuit, tandis que la malheureuse retourne sur ses pas, quêtant la sac perdu.

L'impossibilité de mentionner ici toutes les fictions évoquées par les seules monographies invite à signaler au moins quelques légendes attachées à certaines pierres. Proche de Neuilh et Ansost, la "croix blanche" possède la vertu de revenir d'elle-même à son emplacement primitif lorsqu'elle a été roulée au fond d'un ravin proche. La "pierre de Puntous" est réputée avoir saigné. A celle de Layrisse est rattaché le thème de Roland défié par le diable. A Castillon, un rocher témoigne d'un saut à cheval réalisé par dessus la vallée lorsque le neveu de Charlemagne se hâtait vers l'Espagne. Réminiscence du récit biblique concernant la femme de Lot changée en statue de sel, une pierre de Bareilles est appelée "le bergère."

Cette dernière fiction qui fait intervenir Dieu permet de souligner la part très importante encore occupée par le sacré dans l'imaginaire rural et pastoral des Hautes-Pyrénées à la fin du XIXe siècle.

Les monographies signalent, par exemple, de quel thème légendaire demeurent auréolées certaines statues de la Vierge. L'on trouve ainsi la statue qui traversa les airs pour rejoindre son lieu primitif d'emplacement, la statue découverte par un bœuf, la statue plongée dans un torrent et qui provoque l'orage, la statue découverte sur une aubépine...

Et puisqu'il a déjà été question de Saint-Misselin et de Saint Esselin, à signaler, en outre, Saint-Mercurial qui combat les Maures ; Vielle-Louron, Saint Calliste qui agit de même ; Cazaux-Fréchet, Saint Savin fait jaillir l'eau d'un rocher ; Uz, Saint-Justin construit un ermitage à Sers. La tête de Saint-Gérin, décapité sur le pont de l'Adour, guérit de la cécité une femme d'Aureilhan. Saint-Exupère s'est souvent reposé sous tel grand sapin de Barrancoueu. Les remiques du même saint, volées à Arreau par des habitants de Campan, échappent à leurs ravisseurs par la voie des airs. Saint-Cyriaque fait reculer le Neez en crue qui menace le village de Saint-Créac...

Toutes les légendes hagiographiques ne sont pas mentionnées pour autant dans les monographies qui subsistent. Par exemple, il n'est pas question de la légende de Saint-Orens, pourtant publiée par Fourcade en 1835.

La remarque permet d'aborder, toujours dans le cadre des légendes, le problème des limites de l'information fournie par les monographies. Celles-ci, en effet, ne rendent pas compte de toutes les légendes répertoriées au XIXe siècle ou avant.

Par exemple, il faut consulter le Bulletin de la Société Académique pour connaître, vivace en 1859, la légende concernant les "judéous" de Lassales qui hantaient l'intérieur de deux tumuli grâce à un souterrain, ou bien le pouvoir que possédait l'ancienne église de Tajan : stopper la monture du voyageur qui ne se signait pas devant l'édifice, sans oublier les histoires de fées, propres à diverses localités et amplement détaillées cette fois.

Pour plus de précision, soit la monographie de Campan, particulièrement sérieuse, documentée. Parmi les grottes proches de cette localité, il en est une visitée depuis longtemps par des touristes qui la décrivent en termes enthousiastes :

"Je n'ai jamais ouï parler de toutes les beautés que j'y ay veu en crystallisation ; il y en a d'une beauté qui surpasse l'imagination... Elles sont la plupart d'une transparence qui égale le plus beau cristal", écrit le 29 juin 1696 Pierre Seignette, venu dans les Pyrénées pour en analyser les eaux minérales. Auparavant, Seignette avait visité à Lourdes "une grotte", il ne précise pas laquelle et juge le site sans intérêt.

En 1705, venu de la Rochelle lui aussi, Elie Richard réalise une aquarelle représentant l'intérieur de la grotte de Campan afin d'illustrer le manuscrit qui relate ses voyages "en France, en Flandre, en Hollande et en Allemagne." Aquarelle et manuscrit existent toujours. On peut lire ainsi "plus je m'enfonçay avant et plus j'y trouvay de beauté... l'eau qui tombait du haut du rocher s'y congeloit et formoit des espèces de statues..."

Retenons la finale "des espèces de statues", car A. Clavé relate en 1835 "La grotte de Campan avait il y a quelques années bien plus encore l'air d'une église que de nos jours. Les cristaux avaient formé au fond d'un sanctuaire... une vierge que nulle main n'avait sculptée et qui était venue là d'elle-même se cacher sous la voûte secrète... le despotisme de la première révolution... fit briser la vierge de la grotte. Aujourd'hui, il n'en reste plus qu'une tradition douloureuse dans l'esprit des toys"

L'instituteur de Campan ne dit rien sur la grotte de Campan que Millin présente en 1811 "comme étant la demeure perpétuelle des sorciers et que, deux ans plus tard, Laboulière décrit minutueusement"

Toujours dans le cadre de Campan, il existe un autre site à légende. Dans ses Souvenirs d'un voyage dans les Pyrénées, A. Clavé dit avoir participé à un pélerinage populaire qui réunit autour de la chapelle Saint-Roch de Campan une partie de la vallée. D'où ce texte : "... un lierre touffu tapisse extérieurement les murs de la chapelle. A cette même place s'agenouilla Saint-Roch lorsqu'il pria Dieu de faire cesser la peste qui dévorait les habitants de la vallée et la tradition porte qu'alors naquit le lierre qu'on y voit aujourd'hui et donc le tronc atteste la vieillesse." A raison de cette légende, ajoute Clavé, les pèlerins emportent chez eux "triomphalement des branches de lierre" après chaque pélerinage.

La monographie de Campan n'a pas un mot sur le lierre de la chapelle Saint-Roch, mais, se référant à un cahier de notes extraites des archives municipales et rédigées par "M. Cazeaux ancien juge de paix et ancien maire de Campan", l'intituteur mentieonne : "La chapelle Saint-Roch, aux Lägues, est une des moins anciennes de celles qui existaient à Campan, elle fut élevée en 1680 par les soins pieux des habitants de ce quartier en commémoration d'une épizzotie terrible qui se déclara parmi les bêtes à corne et de lévénement heureux qui les fit cesser" "Les habitants, dit M. Cazeaux, voyaient périr leurs vaches par l'effet d'un mal inconnu... Un des plus anciens de la localité avait vu périr sa dernière vache... Un idée soudaine, effet de l'inspiration divine frappe son imagination : jusqu'à ce jour, dit-il, nous n'avons adressée à Dieu que des prières individuelles, réusissons-nous tous pour implorer sa miséricorde." En effet, à sa voix, tous les habitants du quartier se réunissent à un endroit désigné longtemps avant ce jour ; ils envoient chercher un prêtre de Campan, réunissent sur un pré les vaches qui avaient été épargnées et, au moment où le soleil paraît, se prosternant en adressant à Dieu de ferventes prières en invoquant Saint-Roch, le bienheureux. Une messe fut célébrée. Dès cet instant le fléau cessa ; une chapelle fut immédiatement construite sur l'emplacement où la messe avait été célébrée en l'honneur de ce saint ; une fête fut instituée...

Par parenthèse, cet extrait de la monographie de Campan permet de déceler dans une thèse universitaire une interprétation tendancieuse du fait évoqué. Bien que l'auteur dise se référer lui aussi au cahier du juge Cazeaux, H. Lefebvre situe la scène, non en 1680, mais en 1690. Mieux, l'ancien de la localité, dont parle le juge Cazeaux aurait eu, selon Lefebvre, une "vision" au préalable. Puis, ajoute cet auteur : "une nuit de juin, conduits par le visionnaire, tous les habitants avec les troupeaux montent sur l'immense prairie qui couvre une des petites montagnes surplombant la vallée de Campan. On dresse un autel rustique, on attend ; à l'aube commence la célébration de la messe. Et le prêtre élève l'hostie au moment précis où le soleil apparaît à l'horizon. D'après la tradition receuillie au début du XIX e siècle par un juge de paix qui la consigna par écrit en marge des Cahiers de cette année 1690, la cérémonie solaire arrêta le fléau."

Lefebvre semble avoir trop vite assimilé ce que dit le juge Cazeaux, reproduit par la monographie de Campan, avec ce que rapporte du Mège à propos de mœurs pastorales propres au mont Valier, Ariège : "Lorsque les neiges ont disparu..., nos bergers se rassemblent aux premières lueurs de l'étoile du matin ; ils montent sur le haut d'une colline, se mettent en cercle et attendent en silence le lever du soleil ; dès que l'astre du jour paraît, le plus âgé commence la prière..."

Un dernier thème légendaire, qui d'ailleurs n'est pas propre à Campan, est attesté par un procès-verbal publié in extenso par H. Lefebvre. Il s'agit d'un interrogatoire que l'évêque de Tarbes fait subir au curé de Campan le 3 juin 1640. Le texte signale en passant la tentative de vol d'une relique dans une église de Bordeaux. Mais "la cloche ayant sonné miraculeusement" le voleur, un clerc de Limoges, fut surpris. Le curé de campan évoque ce fait-divers parce que connu, admis de tous. C'est que le thème de la cloche d'une église qui sonne toute seule pour une raison importante est communément accepté dans le Languedoc au XVIIe siècle. Des textes d'époque l'attestent pour Brugières, près de Toulouse, Rocamadour, Bagnères-de-Bigorre. Le curé de Campan exprime donc tout haut la croyance générale en un thème légendaire, vivace jusqu'au XIXe siècle dans les Hautes-Pyrénées. La monographie d'Asté cite en effet la brochure du Père Marie Antoine : Lourdes et la vallée de Campan, publiées en 1883. Le thème de la cloche qui sonne sans être mue par une intervention humaine y est &eacut;voqué, page 32, pour l'édification des lecteurs.

Or, pas une monographie communale des Hautes-Pyrénées ne fait allusion au thème de la cloche qui sonne toute seul;

En bref, les monographies communales de 1887 demeurent une précieuse source d'information pour l'étude des légendes encore transmises oralement à la fin du XIXe siècle dans les Hautes-Pyrénées. Mais les instituteurs n'ont pas cherché à restituer l'ensemble des fictions locales élaborées au cours des siècles. Ce que constatent plusieurs maîtres déécole, dont celui d'Aubarède : "Les traditions et les légendes étaient nombreuses au commencement de ce siècle, mais il n'en reste presque plus de traces."

Mieux, les monographies communales de 1887 restituent fidèlement les bribes d'un passé socio-culturel, facilement modifié par la mémoire collective de la fin du XIXe siècle. Le témoignage de l'instituteur de Pouzac est suggestif en ce sens : "Bon nombre d'hommes racontent que César combattit longtemps contre Bayard ; le camp du grand capitaine français est posté par eux sur la rive droite de l'Adour Toujours d'après leurs témoignages, les canons de César auraient vaincu"

X. Recroix


Notes

[1] Source : Gallica.bnf.fr
Bibliothèque Nationale de France
Revue de Comminges.
Société des études du Comminges - 1885
Société Julien Sacaze.


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© Marie-Pierre MANET








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